ALLOCUTION DE M. VALERY GISCARD D'ESTAING, A PLOERMEL PLACE DE LA MAIRIE, LE 8 FEVRIER 1977

Bretonnes et bretons,

 

 Je suis heureux de m'adresser à vous ce soir, comme j'aime le faire, directement et simplement. Rien n'est plus profondément satisfaisant dans l'exercice de mes fonctions, que la possibilité qu'elles me donnent de rencontrer ainsi les Françaises et les Français. Et surtout de les rencontrer chez eux, comme ce soir, à Ploërmel, dans ce lieu qui incarne la vitalité profonde de la Bretagne. Je remercie les organisateurs, les membres des comités d'accueil et vous toutes et tous qui êtes venus, pour cette rencontre populaire avec le président de la République a l'occasion de cette rencontre, je vous parlerai d'abord de la Bretagne, puis de la France.

 

 Et d'abord de la Bretagne. Votre région, longtemps partagée entre l'inquiétude et l'espoir, a choisi l'espoir. L’inquiétude, vous la connaissiez bien. Elle était due, hier, à l'exode massif et prolonge de la population, au sous-emploi permanent, aux difficultés de vie d'une agriculture très morcelée. C’est aussi le sentiment des bretons d'être isolés du reste de la France, absents des priorités nationales, appelés à partager les efforts et les sacrifices, puis, une fois rentrés chez eux, oublies et abandonnes. Or, malgré les temps difficiles que nous traversons, et parce qu'un grand effort a été entrepris par la Vème république, la Bretagne reprend confiance en elle-même, et retrouve, après ses longs découragements, le chemin de l'espoir. Voici que pour la première fois depuis 60 ans ` durée ` un solde positif, très positif puisqu'il atteint 40 000 personnes, se dégage du recensement de la population de la Bretagne. voici qu'en 10 ans, le revenu agricole de la Bretagne a atteint, puis dépasse la moyenne nationale.

 

Pourquoi ce changement ? d'abord parce que la "nef bretonne" s'est solidement amarrée au reste du pays mettant fin ainsi à l'enclavement de la Bretagne : l'autoroute paris - le mans, que nous venons de décider de prolonger jusqu'à rennes d'ici 1980 ` date `, et le plan routier breton, avec ses remarquables réalisations, qu'il nous faut naturellement compléter, témoignent de cette réalité : la Bretagne cesse d'être isolée du reste de la France. Ensuite parce que les bretons ont joué la carte de la modernisation de leur région. Qui pouvait penser, il y a encore quinze ans, que la Bretagne deviendrait l'une des régions spécialisées dans l'industrie des télécommunications, dont nous sommes décidés à développer la vocation exportatrice et l'emploi ? qui pouvait penser que l'agriculture de la Bretagne, profondément rénovée, donnerait naissance à une puissante industrie agro-alimentaire, dont l'expansion doit se poursuivre ? et voici enfin la chance qu'offre la vocation maritime de la Bretagne. Les ports de l'atlantique et de la manche s'ouvrent sur la voie maritime la plus fréquentée du monde. C’est pourquoi il a été décidé de faire de Brest le centre de réparation navale de l’Europe atlantique. Et la décision de protéger le plateau continental jusqu'à 200 milles nautiques ouvre la possibilité de nouvelles exploitations de fonds marins. Et bien entendu, comme je l'ai dit hier et aujourd'hui, ses pécheurs seront défendus. 

 

 

Je le dis solennellement : la priorité reconnue à l'ouest dans l'aménagement du territoire sera entièrement maintenue « régionalisme » « minorités nationales » « autonomie » désenclaver, moderniser, développer la Bretagne, cela ne veut pas dire, comme certains ont pu le craindre, étouffer l'amé bretonne ! 

 

Il est vrai qu'une certaine forme de modernisation économique tend à écraser, sous l'uniformité comme sous une dalle de béton, une partie de ce qui faisait la diversité de la vie, la diversité de la France. Mais, il n'y a pas la une fatalité. Le temps est venu d'affirmer qu'en-particulier il n'y a pas de contradiction entre le fait d'être pleinement français et celui de continuer à vivre des traditions, des coutumes, et une culture régionale ou locale. L’unité française n'a aucun besoin d'étouffer ou de niveler la diversité naturelle de notre nation. Gaulois, romains, francs, celtes, vikings se sont établis, tour à tour, sur notre sol. Notre culture commune est la fusion de leurs cultures. Acceptons que le même arbre conserve plusieurs racines. Les traditions et les cultures de la Bretagne ne sont pas simplement du folklore. Elles sont des manières de vivre quelque chose de diffèrent, dans un monde qui se banalise et dont l'amé se vide. Les cultures sont le bien de tous. Elles n'appartiennent à aucun parti. A fortiori elles ne sont pas la propriété de petites minorités, qui ne témoignent pas, dans d'autres domaines, d'un bien grand respect pour les traditions du paseo régionalisme minorités nationales  autonomie la France est un pays de 53 millions d'habitants dans un univers compose de vastes ensembles. C’est pourquoi le morcellement politique de la France, en nous affaiblissant face à l’Europe qui s'unit en ravivant nos divisions, ne profiterait à personne. Mais l'unité française n'a aucune raison d'être l'uniformité française ! vous, les bretons de tous âges, du pays gallo ou du pays bretonnant, vous enrichissez, par votre spécificité, la vie nationale, et vous devez être encourages à le faire. C’est pourquoi, j'indique, en réponse à un vœu exprime par votre conseil régional, que le gouvernement est disposé à conclure avec les instances de la région une charte culturelle destinée à favoriser le maintien des cultures bretonnes sous toutes leurs formes. Qu’on élabore cette charte en 1977, afin qu'elle entre en application au début de l'année prochaine. Ainsi sera confirmé le fait qu'il n'y a aucune contradiction entre la volonté de vivre la culture bretonne, et la conscience d'être pleinement français. Et qui, autant que vous, qui avez consenti tant de sacrifices pour la patrie française pendant la grande guerre comme pendant la seconde guerre mondiale et la résistance, qui autant que les bretons peut éprouver légitimement la fierté d'être français ?  

 

Régionalisme minorités nationales autonomie et j'en viens maintenant à nos problèmes nationaux.

 

D’abord l'économie française. Nous sommes engagés dans un effort de redressement ` plan barre `. Il faut le poursuivre et le soutenir. Rappelez-vous ! quand ce programme a été annonce, en septembre rappelez-vous, quel accueil lui a été fait ? on en annonçait l'échec, par écrit, ou par chuchotement. Il était à la fois trop tiède pour les uns et trop brutal pour les autres ! il allait tout casser, sauf l'inflation ! et aujourd'hui, alors qu'il vous était annonce, voici qu'on aperçoit les tous premiers résultats. Ne nous trompons pas. Cela ne signifie pas que le combat soit gagné. Cela démontre seulement que la direction est la bonne, et qu'il faut continuer. Il faut être têtus. Mais il faut aussi bien comprendre l'enjeu. La situation de la France ne peut pas se comprendre de manière isolée. Nos difficultés sont celles, à des degrés divers, de tous les pays industriels. Le nier est absurde. On ne peut rien comprendre à la situation économique si on ne part pas de là. Ce n'est pas pour le plaisir que le gouvernement de Raymond barre ` premier ministre ` a appelé le pays a l'effort. Ce n'est pas pour le plaisir, c'est parce qu'il a la charge de l'avenir et de l'intérêt général. Or, notre avenir, l'intérêt général du pays, notre progrès, l'emploi des jeunes, et demain l'emploi de nos enfants, dépendent des résultats que nous obtiendrons dans la lutte contre l'inflation. La lutte pour l'emploi et la lutte contre l'inflation sont aujourd'hui un même combat ! je sais que ce n'est pas en vain que je fais appel à la fierté et a l'amour-propre national. Nous sommes engagés dans une compétition qui est rude, et, nous faisons tous partie de la même équipe, celle de l'économie française, face à ses concurrents. Ceux qui cherchent à décourager l'effort national et à répandre les illusions décevantes de la facilite, ne rendent service ni au pays, ni aux travailleurs. On s'interroge parfois sur les Français. Peuple léger ? peuple tenace ? je sais qu'ils sont un peuple tenace, chaque fois qu'ils pensent que l'enjeu en vaut la peine. Alors, puisqu'apparaissent de premiers résultats, et que les toutes dernières informations font état d'une amélioration de climat dans l'industrie, et dans la production, maintenons notre effort. On ne change pas de politique tous les six mois ! le succès viendra de l'effort, et la confiance viendra du succès je vais vous parler maintenant de la politique de la France. Si je vous parle de politique, ce soir, c'est qu'elle est votre affaire. La politique française n'est pas le monopole de quelques spécialistes, ou la propriété des dirigeants des partis. La politique française, c'est le droit inaliénable et in confiscable pour les Français de juger et de décider eux-mêmes. C’est pourquoi, je viens dire ici, à Ploërmel, et je sais que toute la France nous entend, que, charge des intérêts supérieurs du pays, il y a trois choses que je n'accepterai pas ! 1o - d'abord je ne permettrai pas qu'on touche aux institutions. J’en suis le garant. Le peuple français les a démocratiquement adoptées. Il m'en a démocratiquement confie la protection. Cette protection sera assurée. Cela veut dire notamment qu'il n'appartient pas au secrétaire général du parti communiste ` Georges marchais ` Pcf ` d'autoriser ou de ne pas autoriser le président de la République française à exercer ses fonctions. Le secrétaire général du parti communiste se trompe de régime. je l'invite à faire preuve d'un peu moins d'arrogance et d'un peu plus de républicanisme lorsqu'il parle du président élu des français cela veut dire aussi qu'il n'appartient pas à tel ou tel responsable d'opposition de décider à quelles conditions, en cas de succès de ses amis aux élections, pratiquant ainsi la politique imprudente de la peau de l'ours, ceux-ci voudront bien laisser le président de la république exercer les fonctions que le peuple lui a légalement confiées, et lui dicter à l'avance ces décisions. Ces conditions sont sans objet. Le texte de la constitution me suffit pour exercer pleinement mes responsabilités. Cela veut dire également qu'il faut cesser de contrecarrer l'action du président de la République, tout en proclamant son attachement à l'institution présidentielle ! car la primauté du président de la République est la pierre angulaire de nos institutions. Hors de la reconnaissance de ce fait, qui est le legs essentiel du général de gaulle, il n'y a pas de tradition gaulliste. Cela veut dire enfin que c'est au gouvernement et au premier ministre, nomme par le président, d'assurer la conduite des affaires quotidiennes de la France. Ni le premier ministre, ni les membres du gouvernement ne sont désignés par les partis. Et d'ailleurs, si c'était le choix des partis, chacun sait qu'ils n'auraient pas proposé Raymond barre. Si je l'ai choisi, et si je l'ai nommé, c'est parce que l'économie française avait besoin d'être redressée et que j'ai juge qu'il en avait la capacité. Sa compétence, son dévouement, son courage s'affirment tous les jours

 

2o - ensuite, je ne permettrai pas que les divisions, le bruit et l'agitation compromettent le redressement économique de la France. C’est l'intérêt national qui est ici en jeu. Les querelles de boutiques, les rivalités de personnes doivent s'effacer devant lui. Un grand effort est en cours. C’est la priorité des priorités. Rien ne doit compromettre son déroulement. 3o - enfin, je ne permettrai pas non plus que l'unité nécessaire au succès de la majorité soit compromise par la discorde. La majorité n'a pas à être un bloc monolithique. C’est évident. Elle comprend plusieurs familles. Chacune de ses familles doit pouvoir s'exprimer et défendre ses couleurs et ses idées pour le plus grand bien de l'ensemble. Là-dessus plus de difficultés. Mais pour l'emporter, la majorité doit impérativement rester unie, c'est-à-dire organisée. La majorité doit être unie, et elle doit l'être autour de l'action du gouvernement et du premier ministre, comme chacun de ses prédécesseurs l'a fait, c'est le rôle du premier ministre d'animer et de coordonner l'ensemble de la majorité. C’est pourquoi m. Raymond barre, et lui seul, animera et coordonnera la campagne législative de 1978 et il le fera avec tout mon appui.

 

4o - car bien entendu, je dirai le moment venu ou est le bon choix pour la France. Je dirai ou est la raison et où est la déraison ; ou sont les certitudes de recul ; et où sont les chances de progrès. Investi d'un rôle constitutionnel, il va de soi que je tiendrai _compte de la volonté des Français démocratiquement exprimée de construire leur avenir comme ils l'entendent. Mais qu'on ne _compte pas sur moi pour taire mes convictions, pour renoncer à défendre les idées sur lesquelles les Français m'ont élu, ou pour leur laisser croire qu'ils peuvent sans danger se jeter dans l'aventure, ou désorganiser leur économie sans en payer chèrement et chacun le prix. Le bon choix pour la France, il est clair que ce n'est ni de remettre en cause nos institutions, ni de nous abandonner aux facilites de la démagogie, ni d'instaurer chez nous un centralisme économique ou une apothéose de la bureaucratie. Mais ayons confiance. Une fois encore, j'en suis sûr, le bon sens des Français l'emportera. Il en sera ainsi à condition de mener à bien le redressement économique. Et ceci est en cours. Il en sera ainsi à condition que la majorité sache s'organiser et maintenir autour du gouvernement l'unité indispensable. J’y veillerai. Il en sera ainsi si tous les partisans de la démocratie pour la France, de la nouvelle démocratie française, savent en être par leurs explications et leurs actions les témoins et les défenseurs. Je _compte pour cela sur vous, et je dirai sur chacune et sur chacun d'entre vous, sur vous qui avez fait un effort de venir ici ce soir et sur tous ceux qui à travers la France sont de cœur, je le sais, avec les femmes et les hommes rassembles à Ploërmel. 

 

Habitants de la Bretagne, françaises et français, laissez-moi vous dire pour terminer quelle est mon ambition pour la France. Elle est de réaliser son unité par la justice. Il y a parmi vous des membres de toutes les professions, de toutes les classes sociales, et les plus nombreux appartiennent aux classes les plus modestes. C’est pourquoi je suis sûr que vous allez me comprendre. Le but de notre action ne peut pas être seulement de maintenir notre société telle qu'elle est. Car telle qu'elle est, notre société ne répond pas aux exigences de justice que chacun de nous porte en son cœur, et qui est ce que nous avons de meilleur. Il y a encore trop d'inégalités entre les Français et les conditions de vie des plus modestes ne répondent pas suffisamment au degré de développement que la communauté française a atteint. Pour il n’y remédier pas besoin de révolution ! pas besoin non plus de bouleverser notre économie, de désorganiser la production et de briser les instruments fragiles qu'il faut ensuite des années pour forger ! ` reformes `. Il suffit d'avancer sur la voie de l'évolution et de la justice. Nous sommes sur cette voie. Ne vous laissez pas égarer par les faux savants que je connais bien, et dont les leçons ne m'impressionnent pas. Tous les indices montrent que la société française avance et continuera d'avancer sur le chemin de l'unification et de la justice, L'unification, mais pas de l'uniformisation. Rejetons l'idée, comme vous la rejetez en Bretagne, d'une société enrégimentée, uniformisée, tout entière façonnée par le même moule. Sachons au contraire respecter nos différences, des lors qu'elles ne sont pas contraires à l'intérêt et à la justice. Toutes les lois que nous avons fait voter depuis 2 ans et demi ` durée `, toutes les actions du gouvernement, ainsi que celles qu'il proposera le printemps prochain, notamment en faveur des mères de famille et des personnes âgées sont le témoignage des solidarités qui nous unissent. Et je suis sûr d'ailleurs que la majorité parlementaire se retrouvera unie pour les soutenir. Elles vont dans le même sens : faire le nécessaire pour que chaque française et chaque français, quelles que soient ses origines et quelle que soit sa condition, se sente davantage membre à part entière d'une communauté active, prospère et unie. Justice et liberté, tels sont les mots que je voudrais inscrire du doigt sur les murs de notre demeure nationale. Et d'ailleurs, tel est bien le sens de notre devise. Justice et liberté. Quand vous repartirez tout à l'heure, sur les chemins de la nuit, je souhaite que vous en entendiez encore l'écho, et que vous l'emportiez avec vous dans votre souvenir comme le témoignage de cette rencontre. Justice et liberté, oui, c'est mon ambition pour la France.